Écran
Noir. Insondable. Immuable. Trou béant. Quand soudain, traversée par un courant électrique, la matrice prend vie. Timidement au début, une douzaine de triades de composants électroluminescents, excités par ce courant, rendent des tons rouges, verts, bleus, pour former, par synthèse additive, un petit rectangle blanc.
L’œil est alors attiré par cette infime source lumineuse intermittente. À chaque disparition, l’attente de sa réapparition se fait plus prégnante. De cette espérance grandissante qui n’est jamais rigoureusement énoncée. De ce désir ineffable de voir les pixels se muer, essaimer, peupler la matrice et éblouir l’œil d’une lumière vive.
Puis tout se fige. Un temps interminable. Quelques millisecondes, au moins. Le temps comme suspendu. L’œil rond, refuse de ciller, attend un signe de vif. Lorsqu’à la limite de l’apoplexie de la rétine, l’œil s’autorise enfin un battement, déclenchant un jaillissement de lumière, se répandant comme une trainée de poudre étincelante ; d’une vague nitescence se forment des lettres, des lettres en mots, et des mots en messages, écrits d’une main invisible et dans un idiome insaisissable dont seule une élite peut percer le sens. Quand tout à coup, un grand flash d’un blanc froid. Et le scriptural cède la place au figuratif. L’écran protecteur aux runes luminescentes se fait fenêtre sur le monde. Il s’illumine d’un vif éclat et offre à l’œil un paysage pastoral ou un regard sur l’espace infini. Et au beau milieu de cet éblouissant décor, comme flottant dans les airs, un cadre. Une autre fenêtre, d’un autre genre. Sobre. Austère. Elle présente deux fentes, telles des meurtrières que l’on aurait couché. De ces fentes filtre une lueur blême ; et de la plus haute des deux, l’œil perçoit, comme en négatif, le rectangle de lumière primordial. Le doigt s’avance vers le clavier et, pressant ses touches une à une, compose une mélodie connue de lui seul. Aussitôt la dernière touche relâchée, le paysage se découvre, l’écran s’illumine de plus belle, et sublime ce qui l’entour. Plus rien n’existe autre que lui. Et sans que l’on s’en aperçoive, il aspire le temps et nos âmes.
“Wikipe-tan” par David Revoy, CC By-SA